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28 juillet 2025La peur de décrocher : prendre des vacances quand on est sportif pro, un défi mental à ne pas sous-estimer
Dans l’imaginaire collectif, être sportif professionnel, c’est vivre de sa passion, avoir un corps affûté en toutes saisons, s’entraîner sans relâche, et viser l’excellence au quotidien. Mais derrière cette image se cache une réalité plus complexe, plus fragile aussi : celle d’hommes et de femmes soumis à une pression constante, tiraillés entre performance et récupération, entre progression et surmenage.
Parler de vacances dans ce contexte peut presque sembler déplacé. Pourtant, la question est centrale. Parce qu’un corps qui ne se repose pas finit par lâcher. Parce qu’un mental qui ne décroche jamais finit par se crisper. Et parce qu’un athlète qui ne prend pas soin de lui n’ira jamais aussi loin qu’il le pourrait.
Mais prendre des vacances, quand on est sportif pro, ce n’est pas si simple. Il y a la culpabilité de s’arrêter, la peur de régresser, celle de voir les autres prendre de l’avance, ou encore l’inquiétude de ne pas retrouver son niveau. Ce sentiment de trahison envers son propre projet est bien plus répandu qu’on ne le croit.
Dans cet article, on va plonger au cœur de cette réalité. Comprendre pourquoi il est vital de décrocher. Identifier ce qui freine. Et surtout, apprendre comment prendre des vacances sans compromettre sa progression. Parce que performer, c’est aussi savoir s’arrêter au bon moment.
Le repos : un besoin physiologique et mental fondamental
Chez les sportifs de haut niveau, le mot « repos » est souvent mal compris. Il est perçu comme une pause, une faiblesse, un ralentissement. Or, en réalité, c’est tout l’inverse : le repos est un accélérateur de performance, un outil stratégique aussi essentiel que l’entraînement ou la nutrition.
Le corps ne progresse pas pendant l’effort… mais pendant la récupération
Chaque séance d’entraînement crée des micro-lésions musculaires, épuise le système nerveux, perturbe l’équilibre hormonal. C’est pendant les phases de récupération que le corps reconstruit, compense, progresse. Sans repos suffisant, ces processus sont incomplets, les bénéfices de l’entraînement diminuent, et le risque de blessure explose.
Les études en physiologie du sport sont unanimes : le surentraînement chronique diminue la performance (Meeusen et al., 2013). Il augmente le risque de blessures, altère la concentration, perturbe le sommeil, et affaiblit le système immunitaire.
Le cerveau, lui aussi, a besoin de souffler
La fatigue mentale est sournoise. Elle ne s’entend pas, ne se voit pas toujours… mais elle érode la motivation, la lucidité, le plaisir de jouer. Des chercheurs ont montré que la surcharge cognitive réduit les capacités de prise de décision et la gestion du stress dans les sports à haute intensité mentale (Smith et al., 2018).
Quand le mental sature, la performance suit. Et là encore, le repos n’est pas une option. Il est une condition pour que l’athlète reste engagé, concentré, et surtout… heureux dans sa pratique.
Des champions qui osent lever le pied
Certains grands noms du sport l’ont compris : savoir couper, c’est aussi une preuve de maturité. Roger Federer, par exemple, a construit la longévité de sa carrière en intégrant des périodes sans tournoi, pour se régénérer physiquement et mentalement. Même chose pour Simone Biles, qui a publiquement revendiqué son besoin de s’éloigner pour préserver sa santé mentale.
Ces exemples ne sont pas des faiblesses. Ce sont des choix stratégiques. Des démonstrations de force intérieure. Et surtout des signaux clairs : on ne gagne pas uniquement en s’entraînant plus, mais en s’entraînant mieux.
Culpabilité, peur de perdre du terrain : l’envers du décor
Derrière les podiums et les apparences de maîtrise, beaucoup de sportifs vivent avec une forme de tension permanente : celle de ne jamais relâcher la pression. Pas seulement parce que le niveau d’exigence est élevé, mais parce que s’arrêter devient, dans leur esprit, un risque.
Et ce risque-là n’est pas toujours physique. Il est souvent psychologique, émotionnel, et profondément ancré.
« Si je m’arrête, je perds tout »
Cette pensée traverse l’esprit de nombreux athlètes. Prendre des vacances peut être vécu comme une trahison envers l’effort, le projet, ou l’image qu’on veut renvoyer. Il y a cette peur irrationnelle mais puissante de régresser, d’être dépassé par un concurrent, de ne plus être dans le rythme. Certains l’expriment à demi-mot. D’autres ne le verbalisent jamais, mais luttent intérieurement.
C’est un paradoxe cruel : on ressent le besoin de souffler, mais on se l’interdit au nom de la performance.
L’hyper-investissement : quand le sport devient refuge… et piège
Chez certains, cette culpabilité est nourrie par un hyper-investissement émotionnel dans le sport. L’identité de l’athlète devient centrale. Il n’y a plus de place pour autre chose. On ne sait plus exister autrement que par le chrono, le score, la performance.
Alors les vacances deviennent une menace : que va-t-il rester, si je ne suis pas « l’athlète performant » pendant quelques jours ? Ce vide identitaire peut faire peur.
Et dans ce vide, s’immisce la culpabilité. Celle de « ne rien faire », de « gâcher son potentiel », d’être « moins pro » que les autres. Même si c’est faux, même si c’est injuste, c’est un sentiment profondément humain.
Le poids du regard des autres
Et puis il y a les regards : celui du coach, du staff, des sponsors, des supporters, parfois même de la famille. On imagine qu’on va être jugé. Que la pause sera perçue comme un relâchement, une faiblesse, une preuve de démotivation.
Dans certains environnements, cette peur est légitime. Il existe encore une culture du « toujours plus », où la charge mentale et physique n’est pas reconnue, et où l’on valorise l’acharnement bien plus que l’intelligence émotionnelle.
Mais ce modèle n’est plus viable. Et il est urgent d’apprendre à le questionner.
Prendre des vacances sans perdre son cap : les clés pour y parvenir
Prendre des vacances quand on est sportif professionnel, ce n’est pas tourner le dos à ses objectifs. C’est au contraire choisir de les respecter intelligemment. Voici comment y parvenir sans stress, sans culpabilité, et surtout sans compromettre votre progression.
1. Repenser la performance : intégrer la récupération dans le projet
Une performance durable, ce n’est pas une ligne droite. C’est une succession de pics et de phases de relâche. En planifiant des moments de coupure, vous ne cassez pas votre rythme, vous l’orchestrez.
Intégrez les vacances comme une vraie composante de votre préparation annuelle. Bloquez des plages dans votre calendrier, au même titre qu’un stage ou une compétition. Plus vous les assumerez comme parties intégrantes de votre stratégie, moins vous culpabiliserez au moment venu.
✦ Rappel mental : se reposer, c’est progresser autrement.
2. Définir le type de vacances qui vous correspond
Tout le monde n’a pas besoin de la même forme de repos. Certains décrochent en mode 100 % off : pas de sport, pas de routine, juste la liberté totale. D’autres préfèrent garder un léger fil rouge physique ou mental, sans charge ni objectif. L’essentiel est de sortir de la logique de performance.
Posez-vous cette question : De quoi ai-je réellement besoin pour me sentir vivant et ressourcé ?
-
Du silence ?
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Du contact avec la nature ?
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De temps avec vos proches ?
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De retrouver des passions mises de côté ?
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De dormir, tout simplement ?
Choisissez en conscience. Ce sont vos vacances. Elles doivent répondre à vos besoins profonds, pas à ceux projetés par votre entourage ou votre coach.
3. S’autoriser la déconnexion mentale
L’un des grands pièges du sportif pro en vacances, c’est de rester dans sa tête… comme s’il était toujours en salle, sur la piste ou dans la compétition.
Autorisez-vous une vraie pause mentale. Cela ne veut pas dire « tout oublier », mais simplement mettre de côté le contrôle permanent. C’est aussi dans ces moments que naissent les meilleures idées, les déclics, les nouvelles envies. Le cerveau a besoin d’espace pour respirer. Il n’est pas fait pour tourner en boucle.
✦ Une bonne pratique : déconnecter des réseaux sociaux sportifs, couper les alertes liées au monde pro, arrêter de suivre les résultats de ses concurrents pendant quelques jours.
4. Communiquer avec son staff pour sécuriser le cadre
La clé pour partir sereinement, c’est d’en parler. Trop souvent, les vacances se prennent en douce, presque honteusement. Au contraire, osez dire à votre coach, votre préparateur ou votre équipe : « J’ai besoin de couper. J’ai réfléchi au meilleur moment pour ça. Et je reviendrai mieux préparé. »
Créer ce cadre, c’est aussi poser les limites d’un engagement sain et durable.
✦ Et si votre environnement ne respecte pas ce besoin ? Il est peut-être temps de le questionner. Une carrière ne se joue pas à court terme. Elle se construit avec du respect – de soi, et de l’autre.
Ce que vous risquez vraiment à ne jamais décrocher
On croit souvent que ne pas prendre de vacances, c’est faire preuve de détermination. Mais à long terme, c’est jouer contre soi-même. Le refus du repos peut sembler vertueux sur le moment, mais il peut rapidement devenir un piège. Et parfois, il est déjà trop tard quand on en prend conscience.
1. La blessure physique… en ligne de mire
La fatigue accumulée use les muscles, les tendons, le système nerveux. Sans période de récupération suffisante, le corps finit par céder. Les statistiques en médecine du sport sont claires :
→ Le surentraînement et la surcharge chronique sont deux des principaux facteurs de blessures à répétition.
(Ref : Gabbett, 2016)
Une déchirure, une tendinite, une pubalgie, ce n’est pas seulement quelques semaines d’arrêt. C’est parfois des mois de doute, un retour incertain, un déséquilibre durable.
Et tout ça pourquoi ? Parce qu’on n’a pas osé lever le pied.
2. Le mental qui lâche en silence
Quand on ne s’autorise jamais à déconnecter, la fatigue mentale s’installe en profondeur. Insidieuse. Invisible. Jusqu’à ce que tout devienne lourd :
→ L’envie s’effrite,
→ Les émotions débordent,
→ La concentration devient floue,
→ Le plaisir disparaît.
Certains parlent d’épuisement émotionnel, d’autres de burn-out sportif. C’est un état dans lequel la passion devient poison. Et cela peut arriver à n’importe quel niveau de pratique. Même (et surtout) chez les plus exigeants.
✦ Le sport est un terrain d’engagement. Pas de sacrifice permanent.
3. Une perte de sens qui grignote tout
À force de repousser le moment de se reconnecter à soi, on finit par se perdre. On ne sait plus pourquoi on s’entraîne, pour qui, pour quoi. La machine tourne. Mais l’humain derrière fatigue. Et ça, aucune fiche d’entraînement ne peut le compenser.
Les vacances, même courtes, même imparfaites, permettent de reprendre contact avec ses envies profondes. Avec la personne qu’on est derrière l’athlète. Et si cette reconnexion n’a jamais lieu, c’est parfois toute une carrière qui s’étiole, à petit feu.
4. Et si le vrai risque, c’était… de continuer comme si de rien n’était ?
Le sport de haut niveau est exigeant. Il demande des efforts, de la rigueur, du dépassement. Mais il ne devrait jamais exiger l’oubli de soi.
Ne pas prendre de vacances, ce n’est pas une preuve de professionnalisme. C’est fermer les yeux sur des signaux d’alerte qui, tôt ou tard, réclameront leur dû.
Vous avez le droit de souffler.
Vous avez le droit de vous éloigner.
Et surtout : vous avez le droit de revenir plus fort.
Prendre soin de soi pour durer dans la performance
On l’oublie souvent, mais le sport de haut niveau n’est pas un sprint : c’est un ultra-trail. Et dans cette course de fond, ceux qui tiennent la distance ne sont pas toujours les plus talentueux, ni les plus durs au mal. Ce sont souvent ceux qui ont su écouter leur corps, protéger leur mental… et s’accorder du temps.
1. La longévité n’est pas un hasard
On admire souvent les athlètes qui durent. Ceux qui, année après année, restent au sommet. Mais ce qu’on ne voit pas, ce sont leurs stratégies invisibles :
→ les pauses intelligentes,
→ les coupures assumées,
→ les moments hors cadre.
Ils ont compris que la régularité ne se construit pas dans la tension permanente, mais dans l’alternance. Entre le “on” et le “off”, entre l’action et la respiration.
✦ Exemples inspirants : Roger Federer ou Rafael Nadal ont tous deux assumé des coupures longues pour préserver leur santé et prolonger leur carrière. C’est un choix stratégique, pas un aveu de faiblesse.
2. Prendre soin de soi, c’est protéger ce qui vous rend unique
Votre corps est votre outil de travail. Mais votre mental est votre moteur. Négliger l’un, c’est abîmer l’autre.
Les vacances sont un moyen de :
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Régénérer votre énergie profonde.
-
Nourrir votre créativité.
-
Retrouver du plaisir hors pression.
-
Renforcer votre motivation intrinsèque (celle qui vient de vous, pas de l’extérieur).
Autrement dit : prendre soin de soi, c’est se préparer à mieux performer.
3. S’écouter pour mieux s’ajuster
Certains sportifs ont besoin de deux semaines complètes de déconnexion. D’autres se contentent de 3-4 jours, bien placés, pour retrouver leur équilibre. Il n’y a pas de règle universelle.
Ce qui compte, c’est d’être à l’écoute de vos signaux internes :
-
Si vous êtes irritable pour un rien,
-
Si vous perdez l’envie de vous entraîner,
-
Si vous vous réveillez fatigué jour après jour…
Ce sont des messages. Et les ignorer, c’est risquer de briser la machine plutôt que de la régler.
✦ Le corps parle, le mental chuchote. À vous de tendre l’oreille.
4. Créer un rapport sain à la performance
Enfin, prendre soin de soi, c’est déconstruire l’idée qu’on doit toujours être à 100 %. Non, un athlète pro n’est pas une machine. Et vouloir l’être, c’est souvent ce qui précipite la chute.
La performance durable repose sur une base solide :
-
Une santé physique entretenue.
-
Une clarté mentale cultivée.
-
Une identité personnelle respectée.
Et ça commence par s’accorder, régulièrement, un moment à soi. Un espace où le sportif laisse place à la personne. Sans culpabilité. Avec confiance.
Et si vos vacances devenaient votre meilleur investissement ?
Dans le tumulte de la performance, il est facile d’oublier l’essentiel. Le repos n’est pas un luxe, ni une faiblesse. C’est un acte de lucidité. Un choix courageux dans un monde qui valorise l’effort constant, parfois jusqu’à l’épuisement.
Prendre des vacances quand on est sportif professionnel, c’est :
-
Choisir de protéger son corps au lieu de le pousser à la rupture.
-
Cultiver un mental sain plutôt que de courir vers le burn-out.
-
Nourrir le plaisir de son sport, pour ne pas le transformer en prison.
C’est faire le pari qu’en s’éloignant quelques jours, on revient plus aligné, plus fort, plus prêt.
🎯 Ce n’est pas fuir l’exigence. C’est s’y préparer autrement.
Vous avez le droit de ralentir. Vous avez le droit de souffler.
Et surtout, vous avez le droit de vous choisir.
Alors si vous sentez que la machine chauffe, si votre cœur bat moins fort qu’avant pour ce que vous faites, posez-vous une seule question :
Et si le vrai courage, c’était de dire stop… un instant ?
Parce que parfois, la performance commence par une pause.
📚 Références scientifiques
-
Gabbett, T.J. (2016). The training—injury prevention paradox: should athletes be training smarter and harder?British Journal of Sports Medicine, 50(5), 273–280.
-
Gustafsson, H., Kenttä, G., Hassmén, P. (2011). Burnout in elite athletes: a systematic review. The Sport Psychologist, 25(4), 512–536.
-
Kellmann, M. (2010). Preventing overtraining in athletes in high-intensity sports and stress/recovery monitoring.Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 20 Suppl 2, 95–102.
-
Meeusen, R. et al. (2013). Prevention, diagnosis, and treatment of the Overtraining Syndrome. European Journal of Sport Science, 13(1), 1–24.


